StopCovid : Le Conseil National des Barreaux (CNB) émet des réserves sur les conditions de mise en place du traçage numérique.

Membre du CNB, Maître Sophie Ferry-Bouillon a participé à l’e-débat organisé par le CNB avec plusieurs avocats et Monsieur Henri Verdier, ambassadeur du numérique. A travers ce vif échange, les principales questions relatives à la défense de la liberté individuelle et de la vie privée ont été soulevées.

Le gouvernement indique d’ores et déjà que le traçage reposera sur le volontariat, l’anonymat des données, et l’absence de données de géolocalisation. Or, la méthodologie mise en œuvre est sujette à de nombreux biais, par absence de garanties du point de vue du droit qui pourraient devenir de véritables failles dans le fonctionnement de notre démocratie.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a voté un avis cette semaine qui stipule « L’intérêt et l’efficacité d’un tel suivi pour endiguer la propagation du virus sont trop incertains en comparaison de la menace disproportionnée qu’ils font peser sur les droits et libertés fondamentaux […] Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus à l’égard de son efficacité » et son utilisation en France se heurte à « un obstacle majeur : la fracture numérique. » . En effet, les scientifiques estiment que 60 % de la population devraient l’utiliser « volontairement », or 77 % seulement de la population française est équipée d’un smartphone. Donc rien n’est moins sûr en termes d’utilisation, donc d’efficacité.

 

La CNCDH va plus loin et interroge, en cas de contact avec une personne contaminée, va-t-il falloir « se soumettre à un dépistage obligatoire au risque de faire l’objet de poursuites judiciaires ? ». Maître Ferry-Bouillon est formelle sur ce point :  » Le volontariat doit être totalement garanti et non assorti de conditions comme l’accès aux soins ou aux tests ».

Une question de fond se pose au-delà de la nécessité du volontariat. En effet, souligne la présidente du CNB, Maître Christiane Féral-Schuhl, spécialiste du cyber-droit : « Mais comment s’assurer que notre consentement sera parfaitement libre et éclairé ? ». Le citoyen n’étant vraiment en mesure de savoir si cette mesure sera ou on attentatoire à ses droits fondamentaux, ne va-t-il pas renoncer de fait à ses droits à la vie privée sans garantie avérée ?

 

Pour Maître Sophie Ferry-Bouillon la garantie absolue d’un volontariat sans conséquences sur nos droits doit assortir la mise en place d’une telle application. Pour elle, toute forme de condition associée à cette application entraînerait « une pression » sur l’utilisateur dont le consentement ne serait dès lors plus libre ni éclairé. D’où la nécessité d’assortir la mise en place de l’application d’un « collège de personnalités » autorisé à y mettre fin immédiatement « s’il y a des dérapages ou un piratage, ou des utilisations malveillantes ». Elle souligne d’ailleurs un problème de sémantique, qui pourrait sembler anodin, et qui pourtant alerte sur le fait que le consentement pourrait sans doute ne pas être totalement libre. La CNIL elle-même propose de nommer cette application « InfoCovid ». Enfin,  » le consentement doit être actif et continu », permettant le droit au changement d’avis.

 

Pas de traçage numérique des personnes sans contrôle du dispositif face à un risque accru de dérives possibles et de généralisation, tel est le point de vue consensuel de cet e-débat. Chacun sait bien que toute collecte de données, anonyme soit-elle, implique un stockage quelque part de ces données, donc de leur mémorisation, ce qui génère a priori un risque certain. Dès qu’il y a algorithme conçu de façon technologique, il y a nécessairement des biais sur le plan éthique. D’où l’importance fondamentale de consulter en amont la CNIL, la CEDH, les instances juridiques ou politiques comme la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, afin d’élaborer un cahier des charges respectueux de nos droits fondamentaux alors même qu’il est conçu en période d’état d’urgence de la santé. Ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Tous les participants appellent de leur vœu la création d’un comité d’éthique.

 

En conclusion, le Conseil national des Barreaux alerte sur des points cruciaux, du point de vue de nos droits fondamentaux, dans la méthodologie utilisée afin de mettre en place l’application « StopCovid » :

– la nécessité de ne pas développer un algorithme technologique, sans consultation en amont des diverses instances de la société en charge du respect de la liberté individuelle et de la vie privée, afin de rédiger un cahier des charges qui prennent en compte toutes les questions sociales, juridiques et éthiques que cela implique ;

– la question du consentement, avec tous les biais possibles qui apparaissent aux yeux des juristes;

– la question majeure de la protection des données personnelles, en anticipant sur les dérives et dérapages malveillants susceptibles de se produire;

– enfin, la question du contrôle de ce dispositif par un comité éthique, dans le temps et dans ses modalités.

 

L’ensemble de ces réserves, qui exigent des garanties, constituent une alerte du Conseil National des Barreaux ardent défenseur des droits fondamentaux du citoyen d’une démocratie en termes de liberté individuelle et de liberté de la vie privée.

 

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